La Lettre du Grand Maître
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Le document qui suit est connu sous le nom de Lettre du Grand Maître, son auteur étant désigné par H.P. Blavatsky comme le Maître de son Maître. On remarquera que le Grand Maître insiste spécialement, sur l'importance de l'enrichissement philosophique et moral qu'apporte le véritable Bouddhisme aux peuples qui acceptent ses enseignements. En fait, les Enseignements du Bouddhisme, spécialement ceux du Bouddhisme Transhimalayen, sont demeurés très près des grandes vérités de la Religion-Sagesse, source commune de toutes les grandes religions mais dont la véritable Théosophie constitue l'expression la plus pure dans le monde moderne. Il est toutefois utile de rappeler ici, comme le fait H.P. Blavatsky dans La Clef de la Théosophie (chapitre l, p.26), que « La Théosophie n'est pas le Bouddhisme ».
La Lettre du Grand Maître
La doctrine que nous promulguons étant la seule vraie, doit ― avec l'appui de l'évidence que nous nous préparons à en donner ― devenir finalement triomphante comme toute autre vérité. Cependant il est absolument nécessaire de l'inculquer graduellement, en appuyant ses théories ― qui sont des faits incontestables pour ceux qui savent ― avec les conclusions directement déduites de l'évidence fournie par la science exacte moderne, et corroborées par elle. C'est pourquoi le Colonel H.S. Olcott [Co-fondateur de la Société Théosophique, avec Mme. Blavatsky et W.Q. Judge] qui travaille à redonner vie au Bouddhisme, peut être considéré comme un homme qui oeuvre dans le vrai sentier de la Théosophie, bien plus que celui qui choisit comme but la satisfaction de ses propres aspirations ardentes à la connaissance occulte. Le Bouddhisme, dépouillé de sa superstition, est l'éternelle vérité ; et celui qui fait tous ses efforts pour elle oeuvre avec énergie pour Theosophia, la divine sagesse, qui est un synonyme de vérité. Pour que nos doctrines réagissent pratiquement sur ce qui est appelé le code moral, ou les idées de sincérité, pureté, renoncement, charité, etc., nous devons prêcher et populariser une connaissance de la Théosophie. Ce qui fait d'un homme un véritable théosophe ce n'est pas la détermination ferme et individuelle d'atteindre Nirvâna ― le summum de toute connaissance et la sagesse absolue, qui n'est après tout qu'un égoïsme exalté et glorieux ― mais c'est la recherche ardente, dans l'abnégation, des meilleurs moyens pour amener notre prochain dans la bonne voie, pour en faire profiter autant de nos semblables qu'il est possible de le faire.
La classe intellectuelle de l'humanité semble se diviser nettement en deux catégories : la première est en train de se préparer inconsciemment de longues périodes d'annihilation temporaire ou d'états privés de conscience, en raison de l'abandon délibéré de la liberté de l'intellect et de son emprisonnement dans les étroites ornières de la bigoterie et de la superstition ― attitude qui ne peut manquer de conduire à une complète déformation du principe intellectuel ; la seconde se livre sans retenue à ses tendances animales avec l'intention délibérée d'encourir l'annihilation pure et simple en cas d'échec, et des millénaires de dégradation après la dissolution physique. Ces classes intellectuelles, en réagissant sur les masses ignorantes ― qu'elles attirent et qui les regardent comme des exemples nobles et dignes d'être suivis ― dégradent et ruinent moralement ceux qu'elles devraient protéger et guider. Entre la superstition dégradante et le matérialisme brutal encore plus dégradant, la Blanche Colombe de la Vérité, visiteuse importune, ne trouve guère de place pour reposer son aile fatiguée.
Il est temps que la Théosophie entre dans l'arène. Les fils des Théosophes ont plus de chances de devenir à leur tour des Théosophes que de prendre une autre voie. Aucun messager de la vérité, aucun prophète n'a rencontré de son vivant un complet triomphe ― pas même Bouddha. La Société Théosophique fut choisie comme la pierre angulaire, la fondation des religions futures de l'humanité. Pour réaliser le but visé, il fut décidé de mêler en une union plus grande, plus sage et, spécialement, empreinte de plus de bienveillance, les grands et les humbles, l'alpha et l'oméga de la société. La race blanche doit être la première à tendre la main de l'amitié aux nations de couleur, à appeler « frère » le pauvre « nègre » méprisé. Cette perspective peut ne pas sourire à tous, mais qui trouve a redire à ce principe n'est pas théosophe. Lorsqu'on voit le triomphe toujours croissant et, en même temps, le mauvais usage de la libre pensée et de la liberté (le règne universel de Satan, comme Eliphas Lévi l'eût appelé), comment l'instinct combatif naturel de l'homme pourra-t-il être empêché d'infliger des cruautés et des énormités, une tyrannie et une injustice encore inconnues à ce jour, si ce n'est par l'influence apaisante de la Fraternité et de l'application pratique des doctrines ésotériques de Bouddha ? Chacun, sait, en effet, que l'émancipation totale des hommes, de l'autorité de la puissance ou loi universelle ― appelée Dieu par les prêtres, ou Buddha, la Sagesse et l'Illumination divines, ou Théosophie, par les philosophes de tous les âges ― signifie également émancipation de l'autorité de la loi humaine. Une fois affranchies, délivrées de leur poids mort de dogmatisme, d'interprétations erronées, d'étiquettes personnelles, de conceptions anthropomorphiques et des prêtres salariés, les doctrines fondamentales de toutes les religions apparaîtront de façon irréfutable comme identiques dans leur signification ésotérique. Osiris, Krishna, Bouddha, le Christ seront compris comme des moyens différents d'atteindre une seule et même voie royale de béatitude finale ― le Nirvâna. Le Christianisme mystique enseigne la rédemption de l'homme par lui-même, par son propre septième principe, le Paramâtma [l’Esprit] libéré, appelé par les uns Christ, par d'autres Bouddha; ceci équivaut à la régénération ou à la renaissance en esprit, et par conséquent cette doctrine expose exactement la même vérité que le Nirvâna du Bouddhisme. Chacun de nous doit se débarrasser de l'emprise de son propre Ego, le soi apparent, illusoire, pour reconnaître son vrai Soi, dans une vie divine transcendante. Mais si nous ne voulons pas être égoïstes, nous devons nous efforcer de faire voir aux autres cette vérité, et les amener à reconnaître la réalité du Soi transcendant, le Bouddha, le Christ, ou Dieu, dont parle chaque prédicateur. C'est pourquoi même dans son aspect exotérique le Bouddhisme constitue la voie la plus sûre pour conduire les hommes vers la vérité ésotérique unique.
Dans le monde tel qu'il nous apparaît aujourd'hui, qu'il soit chrétien, musulman ou païen, la justice est foulée aux pieds, l'honneur et la miséricorde sont également jetés au vent. En un mot, lorsque nous voyons que les principaux objets de la Société Théosophique sont interprétés de façon erronée par ceux même qui sont les plus désireux de nous servir personnellement, comment allons-nous faire avec le reste de l'humanité ? Comment remédier à ce fléau appelé « la lutte pour la vie » qui est la source réelle et la plus prolifique de la plupart des maux et des peines, et de tous les crimes ? Pourquoi cette lutte est-elle devenue presque l'universel système de l'univers ? Nous répondons : parce qu'aucune religion, à l'exception du Bouddhisme, n'a enseigné un mépris pratique de cette vie terrestre ; alors que chacune d'elles, toujours avec cette seule et unique exception, a inculqué, par ses enfers et ses damnations, la plus grande frayeur de la mort. Aussi voyons-nous cette lutte pour la vie faire rage avec le plus de férocité dans les pays chrétiens et surtout en Europe et en Amérique. Elle est moins intense dans les contrées païennes et est presque inconnue parmi les populations Bouddhistes. En Chine, en temps de famine, et où les masses sont les plus ignorantes de leur religion, comme de toute autre, il a été remarqué que les mères qui dévoraient leurs enfants appartenaient à des localités où se trouvaient le plus grand nombre de missionnaires chrétiens ; là où il n'y en avait pas et où seuls les Bonzes étaient les maîtres, la population mourait avec la plus grande indifférence. Enseignez aux gens à voir la vie sur cette terre, fut-elle la plus heureuse, comme rien de plus qu'un fardeau et une illusion, et à comprendre que c'est notre Karma (l'enchaînement des causes que nous produisons et des effets qui en résultent) qui est notre juge et qui sera notre sauveur dans les vies futures, et la grande lutte pour la vie perdra bientôt son intensité. Il n'y a pas de pénitencier en terres Bouddhistes et le crime est presque inconnu parmi les tibétains Bouddhistes. Le monde en général ― et la Chrétienté en particulier ― abandonné pendant 2.000 ans au « régime » d'un Dieu personnel, ainsi qu'à ses systèmes politiques et sociaux basés sur cette idée, a donné maintenant la preuve de sa faillite.
Si les Théosophes disent : « Nous n'avons rien à faire avec tout cela ; les basses classes et les races inférieures (celles de l'Inde par exemple, dans la conception des Anglais) ne peuvent nous intéresser et doivent se tirer d'affaire comme elles peuvent », que deviendront alors nos belles professions de charité, de philanthropie, de réforme, etc. ? Ne sont-elles qu'une dérision ? Et si elles sont une dérision, notre sentier peut-il être le vrai sentier ? Allons-nous nous consacrer à enseigner à quelques Européens ― qui vivent comme des coqs en pâte et dont beaucoup sont comblés des dons de la fortune aveugle ― l'explication logique des sonnettes astrales, de la production de tasses, du téléphone spirituel et de la formation du corps astral, et laisser la foule des millions d'ignorants, de pauvres et d'opprimés prendre soin d'eux-mêmes et de leur vie future, du mieux qu'ils peuvent ?Jamais ! Périsse plutôt la Société Théosophique avec ses deux malheureux Fondateurs que de lui permettre de ne devenir rien d'autre qu'une académie de magie et un collège d'Occultisme ! Penser que nous, les disciples fidèles de cet esprit incarné de l'absolu sacrifice de soi-même, de la philanthropie, de la divine bonté, comme de toutes les plus hautes vertus accessibles sur cette terre de douleurs, l'homme parmi les hommes, Gautama le Bouddha, pourrions jamais permettre à la Société Théosophique de devenir la représentation vivante de l'égoïsme, le refuge du petit nombre, n'accordant aucune pensée à la masse, voilà une étrange idée, mes frères ! Parmi les rares aperçus que les Européens ont reçus du Tibet et de sa hiérarchie mystique de Lamas parfaits, il en est un qui a été correctement compris et décrit. Les incarnations du Bodhisattva, Padmapâni ou Avalokiteshvara, de Tsongkapa, et celle d'Amitâbha, renoncèrent au moment de leur mort à atteindre l'état de Bouddha, c'est-à-dire le summum bonum de la béatitude et de la félicité personnelle individuelle, afin de pouvoir renaître encore et toujours pour le bien de l'humanité. Se pourrait-il que ces êtres acceptent ainsi de supporter sans trêve la misère, l'emprisonnement dans la chair et toutes les douleurs de la vie, pourvu que par un tel sacrifice de soi-même, répété sans cesse au cours de longs siècles interminables, ils puissent devenir le moyen d'assurer le salut et la béatitude dans l'au-delà pour une poignée d'hommes choisis dans une seule des nombreuses races d'hommes qui habitent la planète ? Et c'est nous, les humbles disciples des Lamas parfaits que l'on voudrait voir permettre à la Société Théosophique d'abandonner son titre le plus noble, celui de la Fraternité de l'Humanité, pour devenir une simple école de Psychologie ! Non ! Non ! Frères, voilà trop longtemps déjà que vous êtes victimes de cette erreur ! Comprenons-nous bien. Celui qui ne se sent pas capable d'embrasser la noble idée suffisamment pour travailler pour elle n'a pas à entreprendre une tâche trop lourde pour lui. Mais il n'y a guère de théosophe dans toute la Société qui soit incapable de l'aider efficacement, ne serait-ce qu'en corrigeant les impressions erronées de ceux qui ne connaissent pas la Théosophie, sinon en répandant les idées Théosophiques lui-même. Oh s'il se trouvait des hommes nobles et altruistes pour nous aider efficacement dans cette tâche divine! Toute notre connaissance, passée et présente, ne serait pas suffisante pour les payer de leurs efforts.
Ayant ainsi expliqué nos vues et nos aspirations, je n'ai que peu de mots à ajouter. Pour être vraies, la religion et la philosophie doivent offrir la solution à tous les problèmes. Le fait que le monde soit, moralement, dans une si mauvaise condition est une preuve irréfutable qu'aucune de ses religions et de ses philosophies ― celles des races civilisées moins que toutes autres ― n'a jamais possédé la VÉRITÉ. Elles sont tout aussi incapables de nos jours qu'il y 1.880 ans, de fournir les explications correctes et logiques sur le fond des problèmes posés par les grands principes dualistes qui sont : vérité et erreur, bien et mal, liberté et despotisme, douleur et plaisir, égotisme et altruisme. Elles sont aussi loin de la solution que jamais ; mais à tous ces problèmes il doit y avoir quelque part une solution rationnelle, et si nos doctrines se montrent capables de l'apporter, le monde sera alors le premier à reconnaître que notre philosophie doit être la vraie philosophie, la vraie religion, la vraie lumière, qui donne la vérité et rien que la VÉRITÉ.
© Textes Théosophiques, Cahier Théosophique n°4.