Deus est Demon inversus *
- par Espace Théosophie
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Toute chose dans la nature a deux aspects. Deux forces opposées sont nécessaires à toute manifestation. « Ces deux forces, Lumière et Ténèbres, sont les voies éternelles du monde.[1] » Pourquoi, alors, devrions-nous les considérer comme bonnes et mauvaises ? Cela semble étrange en effet. Chaque plante abrite cachés des ingrédients opposés, qui, s'ils étaient extraits et prescrits séparément en quantités précises, tueraient ou guériraient tous les patients auxquels ils seraient administrés. À partir d’une même nourriture, l'animal malfaisant et l’animal bienfaisant transmutent les éléments pour composer les corps qui conviennent à leur nature. Ainsi, des mêmes expériences, l’un gagne bonheur et vertu tandis que l'autre gagne misère et vice. Aussi nous sommes obligés de conclure que rien n'est mauvais ou bon en soi, mais c’est l’application que l’on en fait qui produit l'un ou l'autre effet.
La théologie est principalement responsable de la personnification de ces forces antipodales dans l'univers et de la création de l'une par Dieu, et de l'autre, par le Diable - ce dernier, en fait, est le principal soutien des églises et sans son existence ni chaire ni prêtre ne serait nécessaire. Selon l'enseignement de l'église, les deux pouvoirs antagonistes, Deus et Demon, résident respectivement au ciel et en enfer. C’est ainsi que nous en sommes arrivés à croire que le bien et le mal sont aussi éloignés l’un de l’autre que le zénith ne l’est du nadir. Mais ce n'est qu'une conception mathématique qui n’est plus vraie quand nous affrontons les deux forces en nous-mêmes. L'étudiant de la science de la vie apprend vite que le bien et le mal ne sont séparés que par l’épaisseur d’un cheveu - en fait, les deux existent en chaque point de l'espace, - et à aucun moment, ou dans aucune expérience, il n'est plus éloigné de son Dieu ou de son Diable qu'à aucun autre, et tout ce qui rend, l’un ou l’autre, proche ou lointain, est dans sa propre manière de penser. La force utilisée pour produire le mal est la même qui, inversement utilisée, produit le bien - une force, avec deux utilisations - comme pour une dynamo de tramway, que le courant électrique peut actionner pour déplacer la voiture en avant, ou en arrière. « Celui, O Arjuna, qui par la similitude trouvée en lui-même ne voit qu'une seule essence en toutes choses, qu'elles soient mauvaises ou bonnes, est considéré comme le plus excellent des dévots. »[2]
L'idée de la coexistence éternelle des deux forces dans la nature et en nous-mêmes a été exprimée de nombreuses manières. Dans l'allégorie du « Sang du Serpent »[3], l’horrible reptile a été trouvé au cœur du sanctuaire du diamant scintillant. Les mythes familiers sur les pommes d'or des Hespérides et la toison d'or, tout deux gardés par de terribles dragons, suggèrent la même idée. « Le Mal vit de manière féconde au cœur du disciple dévoué comme dans le cœur de l'homme de désir », dit La lumière sur le Sentier[4]. Par conséquent, nous ne devons pas être surpris de découvrir que dans les vertus et dans la plus grande force du disciple résident les possibilités des plus graves défauts. Les Magiciens Noirs le savent bien et tendent des pièges à l'étudiant imprudent qui ne cherche pas à vaincre ce côté de sa nature.
Si nous devons reconnaître notre proximité avec le mal et nous en prémunir, la nécessité d'une reconnaissance de notre proximité avec le bien est tout autant nécessaire et implique seulement une application inverse ; ce que nous sommes, peut-être, moins susceptibles de faire en période de découragement et de confusion. M. Judge écrivait à un étudiant : « Dans quel enfer pensez-vous être ? Le ciel correspondant est très proche.[5] » Ce grand Maître, qui avait la merveilleuse capacité de transformer le mal en bien, nous offre une manière de penser inattendue et frappante dans ce petit conseil. Il est très facile pour nous tous de trouver l'enfer sur terre, mais peu ont le courage ou la volonté requises pour trouver le paradis au milieu de nos enfers. Pourtant, le « ciel correspondant » est très proche - si nous y pensons. Notre façon de penser nous rapproche ou nous éloigne grandement. Inversez la mauvaise pensée et le bien doit apparaître. Deus est Demon inversus. H. P. B. l’a écrit et dit maintes et maintes fois.
Si le ciel correspondant est proche, ou parait l'être, les Maîtres doivent aussi être proches. Les étudiants ont supposé imaginé qu'Ils étaient fort loin. Certains ont pensé qu'ils devaient aller dans l'Inde reculée pour Les trouver. Ou, s'étant débarrassés de cette fausse notion, ils Les ont imaginés présents en eux-mêmes au terme d'une longue recherche mentale. Il est possible de Les trouver à la fin d'une longue étude ou d'une longue période de méditation. Probablement peu ont eu de telles attentes satisfaites. Arjuna n'a pas trouvé Krishna au milieu de l'isolement, mais au cœur de la bataille, au milieu de ses découragements et de sa méprisable faiblesse. Cette situation devrait nous amener à penser que si nous voulons trouver le Maître qui est proche, nous devons pénétrer au cœur de nos défauts. Si nous affrontons en nous-mêmes les dragons pervers, avec la détermination de les tuer, nous trouverons sûrement le Maître présent à notre côté, nous encourageant et nous aidant dans la bataille. Deus est Demon inversus.
* Ecrit sous la forme : Deus est Daemon inversus.
[1]LaBhagavad-Gîtâ, ch. VIII, 26.
[2]LaBhagavad-Gîtâ, ch. VI, 32.
[3] Allusion à la nouvelle occulte écrite par W.Q. Judge « The Serpent’s Blood » parue dans la revue The Path de janvier 1889.
[4]La Lumière sur le Sentier, p. 11, éd. Textes Théosophiques.
[5] Citation des Lettres qui m’ont aidé, Livre II, Lettre XIII, p. 134 (éd. Textes Théosophiques).
Robert CROSBIE
Theosophy, 1922-1923, vol. IX, p. 111/112 (revue Américaine).