La confiance en soi
-
Affichages : 1157
« Il y a un moment dans l'éducation de tout homme où il arrive à la conviction que l'envie est ignorance, l'imitation suicide ; qu'il doit se prendre en main, pour le meilleur et pour le pire, et accepter son lot de cette façon. Il découvre que, bien que l'univers soit plein de bon, aucun grain de nourriture ne peut venir jusqu'à sa bouche à moins qu'il donne tout son effort au lopin de terre qu'il appartient à lui seul de labourer. Le pouvoir qui réside en lui est un élément nouveau dans sa nature, et nul autre que lui ne peut savoir ce qu'il est capable d'en faire ; et lui-même ne le saura pas tant qu'il n'aura pas essayé.
« Il nous faut affronter et blâmer la médiocrité tranquille et paresseuse et le sordide contentement des temps, et jeter à la face des coutumes, du commerce et du monde des bureaux ce fait — qui est l'enseignement final de toute l'histoire — qu'il y a un grand Penseur et Acteur responsable, à l'œuvre partout où un homme travaille, et qu'un homme véritable n'appartient à aucun autre lieu ni à aucune époque, mais qu'il est le centre des choses.
« Il est aisé de se rendre compte qu'une plus grande confiance en soi — un respect nouveau pour la divinité qui est en l'homme — doit provoquer une révolution dans tous les bureaux et les relations entre les hommes, dans leur religion, leur éducation, leurs préoccupations, leurs modes de vie, leur association, leur propriété, leurs vues spéculatives. »
EMERSON.
Tout débutant dans l'étude de la Théosophie sait que dans le monde mental aussi bien que dans le spirituel chaque homme doit progresser par ses propres efforts et que l'évolution humaine se fait par des voies et des moyens qu'il doit déterminer et mettre en œuvre lui-même. Et dans quel but ? Dans le but de devenir le plus saint des archanges — un Dhyani Buddha. Pour atteindre à cette grande réalisation, on ne peut s'attendre à recevoir aucun don spécial : ce n'est que par l'effort et le mérite personnels que le prix peut être gagné.
D'après de nombreux points de l'enseignement de H.P. Blavatsky, il semble clair que le véritable combat du cycle à venir devra se livrer par les âmes individuelles pour obtenir leur indépendance psychique et morale. Sans aucun doute, l'ère présente est une période de désintégration de l'autorité — de toute sorte d'autorité. Les circonstances de notre temps laissent prévoir que toutes les sources extérieures de sécurité et d'autorité vont graduellement disparaître à la vue jusqu'à ce que les êtres humains se trouvent obligés de penser par eux-mêmes, de décider par eux-mêmes. Dans le dernier numéro du premier volume de sa revue The Path, W.Q. Judge écrit :
« ... C'est notre croyance implicite que, dans cette partie du cycle, l'autorité dernière est l'homme lui-même. Jadis les Védas révélés et, plus tard, les enseignements du Grand Bouddha, formaient en quelque sorte le canon de l'autorité: dans leurs enseignements indiscutés et dans les pratiques qu'ils prescrivaient, se trouvaient indiquées les étapes nécessaires qui jalonnaient l'élévation de l'Homme jusqu'au point où il se tient debout tout seul. Mais la grande horloge de l'Univers marque une nouvelle heure et maintenant l'Homme doit saisir la clef dans ses mains et lui-même — considéré comme un tout — doit ouvrir la porte... »
II faut que les étudiants-aspirants de la présente génération comprennent ce qu'implique la confiance en soi qu'ont prêchée H.P. Blavatsky. et W.Q. Judge. On entend tellement dire que l'on doit avoir confiance en soi que l'on risque de ne pas accorder à cette injonction l'attention suffisante, et d'oublier le fait qu'en occultisme les choses ordinaires et les avis les plus familiers prennent une signification nouvelle. La confiance en soi, dans son sens le plus profond, implique que rien de ce qui est extérieur, que ce soit dans les mondes visibles ou invisibles, ne peut jamais constituer l'arbitre final de la Vérité. C'est le devoir fondamental de tout être humain de se tenir debout sur ses propres jambes ; car, comme le dit Kipling, « la course est courue un par un et jamais deux par deux ». Nous croissons toujours de l'intérieur; aussi l'objectif ultime de tout véritable enseignement est-il de rejeter le disciple sur lui-même. « Ne désire que ce qui est en-dedans de toi » conseille la Lumière sur le Sentier, « car en toi est la lumière du monde, la seule lumière qui puisse être répandue sur le Sentier. Si tu es incapable de la percevoir en toi, il est inutile de la chercher ailleurs » (p. 10-11). Plus loin, dans le commentaire (p. 40) on lit encore :
« Il existe une loi de la nature qui exige qu'un homme lise ces mystères par lui-même. Il ne peut les obtenir par aucune autre méthode. Un homme qui veut vivre doit manger lui-même sa nourriture : c'est là une simple loi de la nature qui s'applique aussi à la vie supérieure. Un homme qui veut y vivre et y agir ne peut être nourri comme un enfant à la cuiller ; il doit manger par lui-même. »
Depuis de longs siècles les hommes et les femmes n'envisagent qu'avec hésitation et méfiance de rejeter coutumes et traditions, de faire quoi que ce soit qui ne se conforme pas aux tabous sociaux, aux superstitions religieuses, aux fétiches scientifiques, aux idéologies politiques. « Quiconque désire être un homme doit être un non-conformiste » écrit Emerson dans son essai sur la confiance en soi (« Self-Reliance »). « Ce qui s'oppose à ce que vous vous conformiez aux usages qui sont devenus choses mortes pour vous c'est que vous dispersez ainsi votre force : ce conformisme vous fait perdre votre temps et trouble l'impression de votre caractère ». L'heure présente exige que le dogme et la croyance fassent place à la foi en la loi et la justice impartiale. Ceci implique obligatoirement un iconoclasme à l'égard des croyances illusoires qui, comme un étau d'acier, paralysent le mental de la race, victime de ceux qui se sont arrogé des droits sur lui. La pratique d'un cérémonial ou d'un rituel en vue d'apaiser des pouvoirs sub ou supra-humains a écarté plus que jamais l'humanité de son but.
À tous ceux qui adhèrent à des systèmes religieux, philosophiques, scientifiques, sociaux ou politiques, qui enseignent à dépendre d'un pouvoir, d'une force ou loi quelconque en dehors de l'homme lui-même, la Théosophie dit : « Sortez des rangs et soyez séparés ». Emerson ajoute encore :
« Ce que je dois faire c'est tout ce qui me concerne, et non ce que les gens pensent. Cette règle, qui est aussi difficile à appliquer dans l'existence que dans la vie intellectuelle, peut servir comme base de jugement pour distinguer entre la vraie grandeur et la médiocrité. Elle est d'autant plus difficile que vous trouverez toujours des gens qui pensent savoir mieux que vous quel est votre devoir. Il est facile dans le monde de vivre en suivant l'opinion du monde, il est aisé dans la solitude de vivre selon votre propre opinion; mais « l'homme vraiment grand est celui qui, au milieu de la foule, conserve l'indépendance de la solitude avec une parfaite égalité d'humeur. »
« À cause de votre non-conformité », ajoute Emerson, « le monde vous cingle du fouet de son mécontentement ». Aussi longtemps qu'un individu se satisfait en imitant le mode ordinaire de vie adopté par ses voisins, amis et proches, personne ne se soucie de lui, mais que l'on sache qu'il a pu démasquer la vaine comédie de la vie sociale, son hypocrisie, son égoïsme et d'autres vilains traits encore, et qu'il a résolu de « sortir des rangs » et de se « séparer », toute la légion de ses amis et connaissances qui ne voient pas la vie comme lui, et sont obstinément attachés à l' « ordre établi », se coalisent immédiatement contre lui et il se trouve haï par tous. En plus de cette épreuve, il est obligé de lutter contre ses propres tendances et facultés inférieures qui jusqu'à ce jour étaient accoutumées au mode de vie conventionnel et qui maintenant lèvent l'étendard de la rébellion. Le profond découragement dont est victime Arjuna lorsqu'il vient à observer dans les rangs ennemis ceux qui sont pour lui ses proches parents et ses amis intimes peut s'abattre aussi bien sur n'importe quel aspirant sincère qui prend la résolution de ne s'appuyer que sur lui-même, de suivre son propre Régent Intérieur et de ne s'en tenir qu'à la vérité comme sa seule lampe pour le guider, en ne cherchant le salut que dans la vérité. C'est alors que l'aspirant a besoin de Virya, l'énergie indomptable, pour faire face aux antagonistes qui se dressent, aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur de lui-même.
Confiance en soi ne signifie pas seulement liberté de toute dépendance des autres mais aussi libération des désirs de toutes .sortes qui tiennent l'homme en esclavage. Ce n'est que, lorsque nous nous libérons de la tutelle du soi personnel inférieur, qui est plein d'appétits et d'égotisme, et que nous suivons les directives de notre véritable nature immortelle que nous pouvons devenir réellement indépendants dans le sens spirituel.
Le mot « indépendance » est très mal compris de nos jours. La confiance en soi n'implique pas cette « indépendance » fanfaronne que revendiquent les hommes et les femmes, et la jeunesse, de notre civilisation moderne, qui ne savent pas reconnaître la véritable interdépendance qui lie toute chose en un seul grand tout. L'indépendance ne signifie pas non plus ignorance des pensées, opinions et théories des autres hommes. Toute entreprise humaine a sa valeur, mais seul l'homme qui dépend vraiment de lui-même peut apprécier cette valeur.
Posséder la véritable liberté ou confiance en soi, c'est s'être placé sous l'absolue dépendance de la Loi. Chercher à soumettre les autres à notre façon de voir les choses, ou craindre le point de vue des autres, ou être intolérant à leur égard, c'est n'avoir aucune confiance réelle dans la justice de l'univers et le triomphe perpétuel de la Vérité.
Nous n'avons pas à requérir une autorité dans notre poursuite de la Vérité. Il n'y a rien qui constitue l'autorité dans les enseignements spirituels, si ce n'est l'autorité que l'enseignement porte en lui-même. Notre moyen de tester ces enseignements c'est l'utilisation de l'intuition. Au cœur de la conscience de chaque être humain sont imprimées certaines intuitions divines ou idées inhérentes, « C'est absolument comme si nous avions en nous tout un ensemble de fils dont les vibrations seraient toutes vraies, mais qui ne pourraient se mettre à vibrer que sous l'action des mots et des propositions qui sont vrais en soi », dit W.Q. Judge. Et nous savons que, pour développer l'intuition, l'effort dénué d'égoïsme est absolument nécessaire. En lui rapportant constamment dans notre mental toutes les propositions, cette intuition aura sa chance de se développer.
En nous, existe une source de force qui reste sans cesse jaillissante si nous prenons la peine de nous tourner vers elle. Le manque de confiance en soi est la cause de la plupart de nos échecs. La détermination de se prendre en mains est la racine de toute véritable croissance dans l'individu. Il y a dans la vie de tous les hommes des moments cruciaux où l'être est complètement isolé : il n'y a plus aucun soutien, plus aucune aide extérieure — et, à moins d'avoir le pouvoir d'affronter seul ses épreuves, il est sûr de tomber. Nous naissons seuls et seuls nous mourons. Quand finalement nous serons préparés à une plus grande naissance nous devrons seuls franchir ce pas. C'est ce que suggère encore la Lumière sur le Sentier (pages 72-73).
« Chaque homme doit accomplir ce grand saut par lui-même et sans aide, mais c'est pourtant un soutien de savoir que d'autres nous ont précédés sur cette route... Au premier stade où l'homme pénètre dans le silence, il perd de vue ses amis, ceux qui l'aiment, tous ceux qui lui sont proches et chers, comme aussi ses instructeurs et tous ceux qui l'ont précédé sur la voie. J'explique cela parce que très peu peuvent traverser cette épreuve sans se plaindre amèrement. Si le mental pouvait comprendre d'avance que le silence doit être complet, il y aurait moins de plaintes entravant le progrès sur le sentier. Votre maître ou votre prédécesseur peut tenir votre main dans la sienne, et vous entourer de toute la sympathie dont le cœur humain est capable. Mais lorsque viennent le silence et l'obscurité, vous le perdez complètement de vue ; vous êtes seul, et il ne peut plus vous aider, non parce qu'il a perdu son pouvoir, mais parce que vous avez invoqué votre grand ennemi.
Par votre grand ennemi, je veux dire vous-même.
Cahier Théosophique n°110 - [Traduit du Theosophical Movement, Vol. XXVIII, p.87 de Janvier 1958]