Les Portes d'Or

par Espace Théosophie
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Quand l'homme fort a franchi le seuil, il ne s'adresse plus à ceux qui sont de l'autre côté (du nôtre). Et même les mots qu'il prononce lorsqu'il est à l'extérieur sont tellement pleins de mystère, tellement voilés et profonds, que seuls ceux qui marchent sur ses traces peuvent voir la lumière qu'ils renferment. ‒ Par les Portes d'Or, (éd. Textes Théosophiques, p. 18).

Il ne parle pas une fois qu'il les a franchies, car s'il le faisait, les gens ne l'entendraient ni ne le comprendraient pas. Tous les mots qu'il peut employer, de notre côté, ont pour base une expérience acquise en dehors des Portes, et lorsqu'il les utilise, ils évoquent uniquement dans le mental de ses auditeurs des idées qui correspondent au plan où ils se trouvent, et aux expériences qu'ils y ont faites ; car s'il parle du genre d'idées et d'expériences qu'il a acquises de l'autre côté, ses auditeurs ignorent ce que recouvrent ses paroles, si bien que ses assertions semblent profondes. Elles ne sont ni voilées, ni profondes parce qu'il veut être un mystique dont personne ne peut expliquer être enseignés par personne, mais uniquement en raison des nécessités de la situation. Il désire ardemment parler à tous ceux qui voudraient savoir, mais il ne peut transmettre ce qu'il voudrait, si bien qu'il est parfois accusé d'être inutilement vague et de les induire en erreur.

Mais certains prétendent avoir franchi les Portes, et ne font que parler de banalités, jongler avec les mots qui ne peuvent être compris, parce qu'il ne se trouve rien en eux qui se fonde sur l'expérience. Comment faire pour distinguer entre ces deux cas de figure ?

Il y a deux méthodes :

1. En ayant une immense érudition, une connaissance approfondie des diverses et innombrables assertions de maitres reconnus au fil des âges, et dont les paroles sont remplies de puissance. Mais de toute évidence, c'est une tâche immense et ardue, qui exige des années consacrées à la lecture et une capacité de mémorisation hors du commun. Aussi ce ne peut être la méthode la plus utile pour nous. C'est la voie de la connaissance livresque.

2. L'autre méthode consiste à vérifier ces déclarations à l'aide de notre intuition. Il n'est pas de personne qui ne possède une voix intérieure - un mentor silencieux - qui fait pour ainsi dire résonner à l'intérieur de nous la cloche qui correspond à la vérité, tout comme les cordes d'un piano entrent en résonance avec les vibrations qui leur sont spécifiques, sans qu'il faille pour cela frapper les touches correspondantes. C'est exactement comme si nous avions en nous une série de fibres dont les vibrations sont toutes vraies, mais qui n'entreraient en résonance avec ces paroles et ces propositions que si elles aussi sont vraies. C'est ainsi qu'un individu faux et prétentieux qui emploie un langage voilé uniquement pour proférer des inanités ne fera jamais résonner en nous ces fibres qui correspondent à la vérité. Tandis que lorsque quelqu'un qui a franchi ces Portes emploie des mots voilant vraiment des idées grandioses, toutes ces fibres invisibles se mettent immédiatement à vibrer à l'unisson en nous. Le maître intérieur les a touchées, et nous sentons qu'il a dit vrai, et que nous le comprenions ou pas, nous éprouvons la puissance de la vibration et la valeur des paroles que nous avons entendues.

De nombreuses personnes ont tendance à douter de l'existence en eux de cette intuition, alors qu'en fait elles la possèdent. C'est un héritage commun à tous les hommes, et qui n'a besoin que d'un effort désintéressé pour se développer. De nombreux égoïstes la possèdent, dans leur vie égoïste ; plus d'un grand financier, ou chef d'entreprise l'a et l'utilise. Ce n'est là toutefois que son mode d'expression le plus bas.

En lui adressant constamment mentalement toutes les propositions, et en lui donnant ainsi l'opportunité de se développer, elle grandira et parlera bientôt d'une voix assurée. C'est ce que signifie, dans les anciens textes Hindous, l'expression "une connaissance de la portée réelle des livres sacrés". Elle devrait être cultivée, car c'est l'une des premières étapes permettant de se connaître soi-même, et de comprendre les autres.

Particulièrement dans notre civilisation, nous sommes enclins à regarder à l'extérieur, plutôt qu'à l'intérieur de nous-mêmes. Presque tous nos progrès sont d'ordre matériel, et donc superficiels. L'esprit est négligé, voire oublié, tandis que ce qui n'est pas l'esprit est sanctifié comme tel. Les intuitions du petit enfant sont étouffées et finissent par se perdre presque complètement, laissant la plupart à la merci de jugements fondés sur une raison extérieure. Comment donc une personne qui se serait approchée des Portes d'Or - ou à plus forte raison, qui les aurait franchies - pourrait-elle ne pas rester silencieuse dans un environnement où l'éclat de cette lumière d'or est inconnu, ou nié ? Forcé d'employer les mots de ses compagnons de route, il leur donne un sens qui leur est inconnu, ou il les sort de leur contexte habituel. Il est donc parfois vague, souvent ambigu, et rarement bien compris. Mais aucun de ces mots ne se perdra, car ils résonnent à travers les âges, et ils se transformeront en sentences d'or dans les périodes futures, dans le cœur des disciples à venir.

Moulvie (William Q. Judge)
Publié par W.Q. Judge dans la revue The Path, mai 1888