Karma n'est-il que punition ?
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Nous avons reçu la critique suivante de H.M.H : « Dans le Path d’août, Hadji Erinn en réponse à la question ci-dessus, disait que : « Ceux qui ont la fortune, comme une heureuse mère qui voit tous ces enfants respectés et vertueux, sont des favoris de Karma. » Je pense, avec d’autres, que ces faveurs apparentes ne sont que des punitions ou des obstacles ; d’autres pensent que les termes punitions et récompenses ne devraient pas être employés. »
Je ne suis pas d’accord sur ce point de vue, ni sur la suggestion que les termes punition et récompense ne devraient pas être employés. Il est facile de réduire toute chose à une base primordiale et dire que tout est l’absolu. Mais c’est la méthode de ceux qui affirment et nient. Ils disent qu’il n’existe ni mal, ni mort ; tout est bien, tout est vie. De cette façon, nous réduisons tout à des absurdités, et nous n’avons alors plus aucun terme pour désigner les choses et les états les plus évidents. Autant dire qu’il n’y a ni or, ni fer, car tous deux sont de la matière. Mais tant que nous sommes des êtres humains, nous sommes obligés d’employer des termes pour exprimer nos perceptions conscientes des idées et des choses.
Il est donc tout à fait logique de dire qu’une personne placée dans des circonstances malheureuses et difficiles, subit une punition, et que la personne riche et heureuse reçoit une récompense. Faute de quoi, notre doctrine n’a plus de sens.
Le malentendu au sujet de la question provient d’un manque de réflexion concernant Karma. Un aspect de cette loi a trait aux vicissitudes de la vie et aux différentes conditions humaines. L’un rencontre la chance et le bonheur, l’autre reçoit l’opposé. Pourquoi cela ? Parce que chaque état est le résultat exact découlant de si nous avons rompu ou respecté l’harmonie de la nature. La personne qui jouit de la fortune dans cette vie a souffert d’un manque d’argent dans son incarnation précédente, ou en a été privée injustement. Comment appeler cela d’un autre terme que récompense ? Si nous disons compensation, nous exprimons exactement la même idée. Et nous ne pouvons pas demander au monde qu’il adopte une verbosité de langage du genre : « Tout ceci provient de ce que cet homme a respecté l’harmonie cosmique. »
En réalité, la pensée que notre interlocuteur a à l’esprit est tout différent de celle qu’il a exprimée ; il confond les deux choses quant il envisage le cas qui s’offre si souvent à nos yeux, d’un homme qui possède la richesse et le pouvoir et qui en fait un usage si mauvais, qu’à la fin il devient égoïste et tyrannique. Mais cela ne change rien à la conclusion qu’il reçoit sa récompense. Karma prendra soin de lui, et s’il n’utilise pas sa chance pour le bien d’autrui, ou s’il s’en sert pour faire du tort à ses semblables, il en subira la punition à son prochain retour sur terre. Il est bien vrai, comme le disait Jésus, qu’« il est difficile à un riche d’accéder au ciel ». Mais il existe d’autres possessions humaines que la fortune, et qui constituent, sur la voie du développement, des obstacles bien plus importants que la richesse. Ce sont des punitions qui peuvent coexister dans la vie d’un homme en même temps qu’une récompense, comme la richesse ou toute autre chose de ce genre. Je veux parler des obstacles et des empêchements tels que la stupidité, la bassesse naturelle ou des tendances sensuelles charnelles. Très probablement ceux-ci empêcheront le progrès et le salut ultime de la personne, bien plus que si elle avait joui de toute la fortune ou le bonheur possible.
Dans de tels cas, et ils ne sont pas rares, nous voyons Karma octroyer sur le plan matériel une récompense sous forme de richesse et de circonstances de vie favorables, et pour le caractère intérieur une punition par de nombreux défauts d’incapacité ou d’inaptitude d’intelligence ou de nature. Le cas inverse est tout aussi vrai. Je doute que notre interlocuteur se soit appliqué à analyser le sujet sous cet angle.
Tout homme est doué de conscience, et du pouvoir d’utiliser sa vie, quelle qu’en soit la forme et les circonstances, d’une façon correcte pour en tirer, dans les limites permises par son caractère, tout le bien possible pour lui-même et ses semblables. C’est son devoir de le faire, et selon qu’il y faillit ou s’y conforme, il en subira par la suite une punition, ou une récompense.
Il peut y avoir aussi une autre espèce de richesse que l’or, et une autre sorte de pouvoir qu’une position en politique ou dans la société. Un cerveau puissant, large, ouvert à tout, rapide et riche en connaissances est une grande possession dont un homme peut jouir. Il peut en faire un bon ou un mauvais usage. Il peut lui faire commettre des excès, des bassesses, et agir à l’encontre de tout ce qui est bien. C’est sa récompense à une longue vie antérieure de stupidité, suivie par d’autres vies d’actions et de pensées nobles. Comment notre interlocuteur expliquerait-il cela ? Celui qui reçoit une récompense peut en mésuser au point qu’à sa renaissance suivante, elle devienne pour lui une cause de punition. Ainsi, dans l’arc, nous ajustons sans cesse nos flèches, les rapprochant au plus près de l’oreille pour viser, puis les lançons très loin de nous. Quand nous pénétrons à nouveau dans le champ de la vie terrestre, ces flèches ne manqueront pas de nous frapper sous une forme humaine par nos ennemis, ou par des événements qui nous meurtriront. Ce n’est pas la flèche ou l’arc qui importe, mais le motif et la pensée qui président au lancement du projectile.
Hadji Erinn (alias William Quan Judge).
(Article paru dans le The Path, de février 1890 et traduit en français dans la revue Théosophie, Vol. II, n°3)