La culture de la concentration

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Traduction d'un article de W.Q. Judge publié, sous le pseudonyme de Ramatirtha, en juillet 1888 pour la partie I et en février 1890 pour la partie II, dans la revue The Path, sous le titre : « The Culture of Concentration ». (N.D.T.)

Généralement, on emploie plus volontiers pour exprimer l'idée contenue dans le titre ci-dessus le terme de "CULTURE DE SOI". Il semble que ce terme rende assez bien, du moins jusqu'à un certain point, la pratique à laquelle se réfèrent ceux qui désirent connaître la Vérité. Mais, en fait, d'un point de vue théosophique, il est incorrect. En effet, le Soi passe pour être ce qui est appelé dans les livres indiens: Ishwara, lequel est une portion de l'esprit éternel, présent dans le sanctuaire de chaque corps humain. Que ceci soit le point de vue indien ne fait aucun doute. Au chapitre XV de la Bhagavad Gîtâ, il est dit qu'une portion éternelle de cet esprit « assumant la vie dans ce monde d'existence conditionnée rassemble les cinq sens et le mental qui appartiennent à la nature ». Quel que soit le corps que Ishwara occupe ou abandonne, il y est relié en captant ces sens dans la nature ― tout comme la brise se charge des parfums pris à leur source même. Cet esprit approche les objets de sensation en dominant l'oreille, l'œil, le toucher, le goût, l'odorat ainsi que le mental. Dans un chapitre précédent, « l'Esprit Suprême à l'intérieur du corps est appelé le Spectateur et le conseiller, le soutien, le bénéficiaire, le grand Seigneur et aussi l'Ame la plus haute ». Et encore : « l'Ame Suprême éternelle, même quand elle existe dans le corps, ou est en relation avec lui, n'est pas polluée par les actions de ce corps ».

Dans d'autres passages de ces livres, ce même esprit est appelé le Soi, comme dans la phrase sanskrite célèbre : « Atmanam atmana pashya », signifiant : « En percevant le soi par le soi », et il en est ainsi dans toutes les Upanishad où l'on parle constamment du soi dans le même sens que cet Ishwara de la Bhagavad Gîtâ. Max Müller pense que le mot anglais « self » (soi, en français), est celui qui exprime le mieux les idées des Upanishad à ce sujet.

On doit donc en conclure qu'il ne peut y avoir de culture de ce soi puisque, dans sa nature même, il est éternel, inchangeable, et ne peut être pollué par l'action. C'est seulement par suite d'une insuffisance de termes que les chercheurs et auteurs qui emploient la langue anglaise sont amenés à parler de « culture de soi », bien que, en utilisant cette expression, ils admettent qu'à leur connaissance le soi ne peut être cultivé.

Ce qu'ils entendent désigner, c'est « cette sorte de culture ou de pratique à laquelle nous devons nous livrer et qui nous permettra, alors que nous serons encore sur terre, de refléter la sagesse et d'obéir aux injonctions du soi intérieur, qui est toute sagesse et toute bonté ».

Comme l'emploi du terme « culture de soi » demande une explication constante, expresse ou tacite, il est plus sage de l'écarter tout à fait et de lui substituer un terme qui désigne la pratique visée, sans donner lieu à contradiction. Pour une autre raison également, l'expression « culture de soi » doit être abandonnée. En effet, elle suppose un certain degré d'égoïsme, car, si nous l'employons comme se référant à quelque chose que nous faisons seulement pour nous-mêmes, nous mettons d'emblée une séparation entre nous et le reste de la fraternité humaine. Ce ne serait qu'en admettant que nous désirons nous cultiver égoïstement que nous pourrions alors parler de « culture de soi » sans qu'il y ait contradiction, ou sans qu'il soit nécessaire de donner une explication. Mais nous irions ainsi à l'encontre d'une règle essentielle de la vie théosophique, sur laquelle on insiste si souvent et avec tant de force, et suivant laquelle l'idée du soi personnel doit être déracinée. Bien sûr, comme il ne saurait être question pour nous d'ignorer cette règle, nous nous retrouvons ainsi devant l'obligation de choisir un terme qui ne soulève pas de contradictions. Ce nouveau terme doit, d'une façon aussi précise que possible, mettre en évidence les trois éléments essentiels de l'action, à savoir, l'instrument, l'acte et l'agent ― de même que ce qui incite à l'action; ou, autrement dit, la connaissance en elle-même, la chose qui doit être connue ou faite et la personne qui connaît.

Ce terme est CONCENTRATION. Dans les livres indiens, on l'appelle Yoga qui peut se traduire aussi par Union, dans le sens d'une union avec l'Être Suprême, ou, comme il est exprimé par ailleurs, dans le sens où "le but de la connaissance spirituelle est l'Être Suprême".

On trouve dans les livres anciens deux grandes catégories de Yoga que l'on appelle Hatha Yoga et Râja Yoga.

Le Hatha Yoga revient à une mortification du corps, grâce à laquelle certains pouvoirs sont développés. Il consiste à prendre certaines postures qui aident le travail et à respirer selon certaines règles qui produisent des changements dans l'organisme, sans parler d'autres moyens employés. Il y est fait ainsi référence dans le chapitre IV de la Bhagavad Gîta : « Certains fidèles sacrifient le sens de l'ouïe et les autres sens dans les feux de la discipline. Certains sacrifient les objets des sens, tel le son, dans les feux des sens. Certains aussi sacrifient l'inspiration du souffle dans l'expiration et l'expiration dans l'inspiration en obstruant les canaux de l'inspiration et de l'expiration, désireux de retenir leur souffle. D'autres, en s'abstenant de nourriture, sacrifient la vie dans leur vie ».

Ces méthodes sont exposées en détail dans plus d'un traité et, sans aucun doute, celui qui s'y conforme peut acquérir divers pouvoirs anormaux. Cependant, c'est là s'exposer à des risques, spécialement dans le cas des gens de l'Occident où l'on ne trouve pas de Gurus ni d'instructeurs expérimentés dans ce domaine. Voici en quoi consistent ces risques: lorsque quelqu'un, sans aucun guide, se met à suivre les règles du Hatha Yoga, il éveille autour de lui des influences qui lui nuisent, et il amène parfois ses fonctions naturelles dans certains états où il devrait arrêter sa pratique un certain temps, mais, à cause de son ignorance sur le sujet, il risque de s'aventurer plus loin et provoquer ainsi des effets désastreux. Encore une fois, le Hatha Yoga est une chose difficile à pratiquer, et qu'il faudrait mener jusqu'à la maîtrise et jusqu'au succès. Mais très peu nombreux sont les occidentaux, qui, par leur nature, sont prêts à remplir les conditions requises et à mener un tel effort continu et difficile exigé sur les plans tant astral que mental. Ainsi après avoir été attirés par le Hatha Yoga, en raison de sa nouveauté et des résultats apparents qu'il offre sur le plan physique visible, ils s'y engagent sans en connaître les difficultés puis, après une période d'épreuve, ils s'arrêtent et précipitent sur eux-mêmes des conséquences qui sont absolument indésirables.

L'objection majeure que l'on peut faire au Hatha Yoga reste, cependant, le fait qu'il n'a trait qu'à l'homme matériel et semi-matériel, ou en gros, qu'au corps, et ce qui est acquis par son usage disparaît avec la mort.

La Bhagavad Gîtâ y fait allusion et décrit ce qui se passe en ces termes : « Tous ceux-ci, en vérité, étant versés dans les sacrifices, ont leurs péchés détruits par ces sacrifices. Mais, seul atteint à l'union avec l'Être Suprême celui qui se nourrit de l'ambroisie résultant du sacrifice ». Autrement dit, la pratique du Hatha Yoga ne représente que le simple sacrifice, tandis que l'autre sorte est l'ambroisie résultant du sacrifice, ou « la perfection de la culture spirituelle », et celle-ci conduit au nirvâna. Les moyens pour atteindre la « perfection de la culture spirituelle » se trouvent dans le Râja Yoga ou, comme nous le nommerons pour l'instant, la Culture de la Concentration.

Au moment de la concentration parfaite, nous nous trouvons dans un état où nous pouvons utiliser la connaissance qui est accessible en nous en permanence, mais qui d'habitude, nous échappe constamment. Ce que l'on appelle communément la connaissance n'est qu'une compréhension intellectuelle des formes extérieures visible dont se revêtent certaines réalités. Considérez, par exemple, ce que l'on appelle la connaissance scientifique des minéraux et des métaux. Il s'agit là d'une simple classification de phénomènes matériels et du résultat d'une acquisition empirique. C'est une connaissance qui a trait aux usages possibles de certains minéraux et métaux, et à certaines de leurs propriétés. On sait que l'or est pur, malléable, jaune et extrêmement ductile, et par une série de hasards on a découvert qu'il pouvait être utilisé en médecine et dans les arts. Pourtant, même de nos jours, il y a encore une controverse, non entièrement réglée, au sujet de savoir si l'or est maintenu mécaniquement ou chimiquement dans le minerai brut. De même avec les minéraux on connaît les formes cristallines et on les classe.

Cependant voici qu'est apparue une nouvelle théorie, s'approchant beaucoup de la vérité, d'après laquelle on ne connaît pas vraiment la matière par cette approche, mais on ne fait qu'appréhender certains phénomènes que la matière présente et que l'on nomme diversement, selon telle ou telle forme du phénomène, de l'or, du bois, du fer, de la pierre, etc. Mais, bien entendu, la science n'ira pas jusqu'à admettre que les minéraux, les métaux et les végétaux possèdent d'autres propriétés qui ne peuvent être appréhendées que par d'autres sens, encore à l'état embryonnaire. Si nous passons des objets inanimés aux hommes et aux femmes qui nous entourent, nous ne serons pas plus avancés qu'avant avec l'aide de cette connaissance intellectuelle ordinaire. Nous voyons des corps portant des noms différents, appartenant à des races distinctes, mais notre intellect ordinaire ne peut nous faire passer sous l'apparence du phénomène extérieur. Nous attribuons à tel homme un certain caractère en nous basant sur l'expérience de sa conduite. Mais cela reste partiel, car aucun de nous ne peut se dire prêt à assurer que nous le connaissons vraiment dans ses bonnes ou ses mauvaises qualités. Nous savons qu'il y a bien plus en lui que ce que nous pouvons voir ou imaginer, mais en quoi précisément nous sommes incapables, nous, de le dire. Cela nous échappe continuellement. Et si nous nous mettons à nous observer nous-mêmes, nous faisons preuve d'autant d'ignorance que dans l'étude de nos semblables. Telle est l'origine de cet ancien dicton : « Chacun sait ce qu'il est mais personne ne sait ce qu'il sera ».

Il doit y avoir en nous un pouvoir de discernement qui, si nous le cultivons, nous permettra de connaître tout ce qu'il est souhaitable de connaître. L'existence d'un tel pouvoir est affirmée par les instructeurs en occultisme et le moyen de l'acquérir consiste en la culture de la concentration.

Généralement, on ne réalise pas assez, ou même on ne croit pas que l'homme intérieur ― qui seul peut avoir de tels pouvoirs ― doit se développer jusqu'à la maturité, tout comme le corps doit atteindre une maturité avant que ses organes puissent remplir pleinement leurs fonctions. Par l'homme intérieur je ne veux pas dire le soi supérieur, Ishwara, dont j'ai parlé ci-dessus, mais cet aspect de nous-mêmes que l'on appelle l'âme, ou l'homme astral, ou le véhicule, etc. Tous ces termes sont susceptibles d'être corrigés et ne doivent pas être pris trop à la lettre ni dans les significations que leur accordent divers auteurs. Posons donc en principe qu'il y a d'abord le corps, actuellement visible, deuxièmement l'homme intérieur (non l'esprit) ; et troisièmement, l'esprit lui-même.

Bien qu'il soit tout à fait exact que le deuxième ― l'homme intérieur ― possède à l'état latent tous les pouvoirs et caractéristiques assignés au corps astral, il est également vrai que ces pouvoirs sont, chez la plupart des personnes, toujours latents ou seulement très partiellement développés.

L'être intérieur est, pour ainsi dire, inextricablement enchevêtré cellules avec cellules, et fibres avec fibres dans le corps physique. Il existe dans le corps, en quelque sorte, comme la fibre de la mangue existe dans ce fruit. Nous trouvons à l'intérieur de la mangue, le noyau d'où partent des milliers de fines fibres qui pénètrent toute la pulpe dorée. Quand vous la mangez, il est difficile de distinguer la pulpe des fibres. Il s'ensuit que l'être intérieur dont nous parlons ne peut pas faire grand-chose quand il est hors de son corps et il reste toujours influencé par lui. Il n'est donc pas facile de quitter le corps à volonté et de déambuler alentour dans le double. Lorsqu'on entend dire dans des histoires que cela est facile à faire, nous pouvons en déduire qu'il s'agit d'imagination par trop féconde, de vantardise ou d'autres raisons de ce genre. Une importante cause d'erreur, en ce qui concerne ces doubles, réside dans le fait qu'un clairvoyant peut fort bien confondre la simple image d'une pensée appartenant à une personne, avec la personne elle-même. En fait, parmi les occultistes qui connaissent la vérité, on considère le fait de sortir du corps à volonté et de se mouvoir à distance comme un exploit fort difficile, précisément pour les raisons énumérées ci-dessus. Étant donné que la personne est tellement prise dans les fibres de son corps, il faut absolument, avant qu'elle puisse emmener sa forme astrale en promenade, qu'elle commence par l'extraire avec précaution, fibre par fibre, de la pulpe sanguine, des os, des muqueuses, de la bile, de la peau et de la chair. Direz-vous que c'est facile ? Ce n'est ni facile, ni rapide à accomplir, ni effectué en une seule opération. Ce ne pourra être que le résultat d'années d'entraînement prudent et d'expériences nombreuses. Et cela ne peut pas être réalisé consciemment tant que l'homme intérieur n'est pas développé et n'est pas devenu quelque chose de plus cohérent qu'une sorte de gélatine irresponsable et tremblotante. Ce développement et cette cohérence ne sont atteints que par le perfectionnement du pouvoir de la concentration.

Il n'est pas exact non plus, et j'ai pu le constater par l'expérience et l'enseignement qui m'ont été présentés, que même dans notre sommeil nous allions nous promener au loin pour voir nos amis et nos ennemis ou goûter des joies terrestres à de lointaines distances. Dans tous les cas où un homme a acquis quelque pouvoir de concentration, il est très possible que le corps endormi soit déserté entièrement, mais de tels cas ne s'appliquent pas actuellement à la majorité.

La plupart d'entre nous restent tout près de la forme endormie. Il n'est pas nécessaire pour nous de nous éloigner afin d'expérimenter les différents états de conscience qui sont l'apanage de tous les hommes. Nous ne nous aventurerons à des kilomètres de distance que lorsque nous y serons aptes et nous ne pourrons y être aptes que lorsque le corps éthérique nécessaire aura acquis ses pouvoirs et appris comment s'en servir.

Ce corps éthérique possède ses propres organes qui sont l'essence ou la base réelle des sens décrits par les hommes. L'œil externe n'est que l'instrument par lequel le réel pouvoir de la vue expérimente ce qui est en rapport avec la vision ; l'oreille a son maître intérieur, le pouvoir d'entendre, et ainsi de suite avec chaque organe. Ces pouvoirs réels intérieurs viennent de l'esprit dont nous avons parlé au début de cet article. Cet esprit approche les objets des sens en commandant aux différents organes des sens. Et chaque fois qu'il se retire, les organes ne peuvent être utilisés. C'est le cas du somnambule qui se promène avec des yeux ouverts qui ne voient rien, bien que les objets soient là et que les différentes parties de l'œil soient parfaitement normales et intactes.

D'habitude, il n'existe pas de démarcation observable entre ces organes internes ou externes. L'oreille intérieure apparaît trop intimement imbriquée dans l'oreille extérieure pour pouvoir en être distinguée réellement. Mais, lorsque la concentration a commencé, les différents organes internes commencent à s'éveiller, (pour ainsi dire), et à se séparer des liens qui les attachent à leurs contreparties physiques. L'homme commence alors à dédoubler ses pouvoirs. Ses organes corporels n'en sont pas blessés, mais demeurent disponibles pour être utilisés sur le plan auquel ils appartiennent, tandis que l'homme acquiert un autre ensemble d'organes qu'il peut utiliser en dehors des autres, sur le plan de la nature qui leur correspond.

Nous voyons de temps en temps des cas où certaines parties de ce corps interne ont été, par quelque moyen, développées plus que le reste. Quelquefois, c'est la tête interne seule qui est développée et nous avons alors quelqu'un qui peut voir ou entendre par clairvoyance ou clairaudience. Ou bien, c'est une main seulement qui s'est développée indépendamment du reste, qui demeure entièrement nébuleux et vacillant. Ce peut être une main droite qui rendra son propriétaire susceptible d'avoir des expériences qui appartiennent au plan de la nature auquel la main droite appartient, disons, le côté positif du toucher et de la sensibilité tactile.

Mais ces cas anormaux souffrent toujours de l'absence des résultats de la concentration. Ils ont simplement fait saillir une portion, comme le homard fait ressortir son œil au bout du pédoncule qui le porte. Ou bien considérez un homme qui aurait développé l'un des yeux intérieurs, disons le gauche. Cet œil est en rapport avec un plan de la nature tout à fait différent de celui auquel participe la main et les résultats de l'expérience en seront d'autant différents. Il sera un clairvoyant d'un certain ordre, capable seulement de reconnaître ce qui est en rapport avec son développement unilatéral et il restera complètement ignorant de bien d'autres qualités inhérentes à la chose vue ou sentie, parce que les organes adéquats qu'il faudrait pour les percevoir n'ont subi aucun développement. Il sera comme un être bi-dimensionnel, absolument incapable de connaître ce que connaissent les êtres tri-dimensionnels, ou comme nous sommes nous-mêmes si nous nous comparons avec des entités d'un monde à quatre dimensions.

Au cours de la croissance de ce corps éthérique on observera plusieurs choses.

Tout d'abord, il prend une apparence nébuleuse, mouvante, avec certains centres d'énergie dus au développement naissant d'organes qui correspondent au cerveau, au cœur, aux poumons, à la rate, au foie, etc. Il poursuit un processus de développement identique à celui d'un système solaire, et, en fait, il est gouverné et influencé par le système solaire lui-même auquel appartient le monde dans lequel l'être peut se trouver incarné. En ce qui nous concerne, il est gouverné par notre propre orbe solaire.

Si la pratique de la concentration est poursuivie, cette masse nébuleuse commence à prendre cohérence et à se transformer en un corps pourvu de différents organes. Au fur et à mesure que ceux-ci se développent, il faut les utiliser. Avec ces organes, il faut faire des essais, les mettre à l'épreuve, faire des expériences. En fait, de même que l'enfant doit se traîner par terre avant de savoir marcher, et qu'il doit d'abord apprendre à marcher avant de courir, de même en est-il pour cet homme éthérique. Mais de même que l'enfant peut d'abord voir et entendre beaucoup plus loin qu'il ne peut ramper ou marcher, de même, généralement, cet être commence par voir et entendre avant de pouvoir quitter la proximité du corps pour voyager à longue distance.

Certains obstacles commencent alors à se manifester qui, si nous les comprenons correctement, nous fourniront de bonnes raisons substantielles de pratiquer les diverses vertus prescrites dans les livres saints et groupées d'une manière naturelle sous le terme de Fraternité Universelle.

Voici l'un de ces obstacles : on constate parfois que ce corps nébuleux en formation est violemment secoué, disloqué ou qu'il explose en fragments qui, immédiatement, ont tendance à se re-précipiter dans le corps pour se refondre dans le même enchevêtrement dont nous parlions au début. La cause de ceci est la colère et c'est pourquoi les sages insistent tous sur le besoin de calme. Lorsque le disciple permet à la colère de s'emparer de lui, son influence est immédiatement ressentie par le corps éthérique et se manifeste sous forme d'un tremblement incontrôlable qui part du centre et tend à disperser violemment les particules jusqu'ici cohérentes. Si on lui laisse libre cours, elle désintègre la masse entière qui va alors reprendre sa place naturelle dans le corps. L'effet qui en résulte est une longue période d'attente avant que le corps éthérique puisse être recréé. Et, chaque fois que cela se passe, le résultat est invariablement le même. Quelle que soit la cause de la colère, cela ne change rien. Il n'y a rien qui puisse s'appeler une « juste colère » du point de vue de cette étude, ni aucun moyen d'échapper à ses conséquences inéluctables. Que l'on ait injustement et de façon flagrante violé vos « droits », ou non, n'a aucune importance. La colère est une force qui fait son œuvre en suivant le cours qui lui est propre. Il faut donc à tout prix éviter la colère, et elle ne peut être évitée à moins que l'on cultive la charité et l'amour ― la tolérance absolue.

La colère peut être absente et pourtant une autre chose est susceptible de se produire. L'être éthérique peut avoir atteint une cohérence appréciable et une forme suffisamment définie. Mais on observe qu'au lieu d'être pure, claire, fraîche, cette forme commence à prendre un aspect trouble et une couleur déplaisante: ce sont là les signes précurseurs de la putréfaction qui envahit toutes les parties et, par ses effets, arrête tout progrès ultérieur pour finalement réagir sur l'étudiant de telle sorte que la colère se manifeste à nouveau. C'est là l'effet de l'envie. L'envie ne doit pas être prise à la légère comme si elle ne produisait aucun effet physique. Elle a une action puissante, aussi forte sur son propre terrain que celle de la colère. Non seulement elle arrête le développement ultérieur, mais elle attire dans le voisinage de l'étudiant des milliers d'entités malfaisantes de toutes classes qui se précipitent sur lui et éveillent ou développent toute sorte de mauvaises passions. Il faut donc extirper l'envie, et on ne peut la rejeter aussi longtemps qu'on laisse subsister en soi l'idée de personnalité.

Un autre effet sur ce corps éthérique est produit par la vanité. Celle-ci représente la grande illusion de la nature. Elle suggère à l'âme toute sorte d'images, erronées ou mauvaises, ou les deux à la fois, et elle fausse le jugement à tel point qu'une fois de plus la colère va faire irruption, ou l'envie, ou bien l'être va suivre une voie telle que, par des causes extérieures, une destruction violente va s'abattre sur l'étudiant. On m'a raconté un cas semblable. Cet homme avait fait des progrès considérables mais, finalement, il laissa la vanité prendre le dessus. En conséquence de tout ceci, devant sa vue intérieure se présentèrent les images et les idées les plus extraordinaires, qui à leur tour l'affectèrent de telle manière qu'il attira dans sa sphère des hordes d'élémentaux rarement connus par les disciples et absolument indescriptibles dans notre langue. Finalement, ces derniers, conformément à leur nature, se mirent à l'assiéger et, un beau jour, ils produisirent dans toute la sphère du plan de son corps astral un effet similaire sous certains rapports à celui que produit la déflagration de l'explosif le plus puissant connu par la science. La conséquence en fut que sa forme éthérique fut soudainement réduite en pièces, que, par répercussion, la nature entière de l'homme se trouva altérée et qu'il ne tarda pas à mourir dans un asile de fous, après avoir commis les plus horribles excès.

Et l'on ne peut éviter la vanité que si l'on s'applique à cultiver ce désintéressement et cette pauvreté de cœur conseillés tant par Jésus de Nazareth que par le Bouddha.

Un autre obstacle est celui de la peur. Ce n'est cependant pas le pire de tous, et il est appelé à disparaître sous l'effet de la connaissance car la peur est toujours le fruit de l'ignorance. Elle a comme effet sur la forme éthérique de la recroqueviller ou de la coaguler et de la contracter. Mais au fur et à mesure que la connaissance progresse, la contraction se relâche en permettant l'expansion de la personne. La peur est analogue à la qualité du froid sur le plan terrestre, et elle agit toujours par le processus de congélation.

Dans mon prochain article, le sujet sera développé davantage.

 La véritable concentration exige une ferme position prise en rapport avec le but à atteindre et maintenue sans relâche. Voies sans issues dans la civilisation occidentale. Les vertus seules ne suffisent pas. Il faut préparer le mental, exercer la volonté par les vertus et la connaissance, développer le pouvoir de saisir et de conserver. Évocation de l'ombre d'Apolonius de Tyane par Eliphas Lévi. Conclusion concernant le mental occidental.

II

Voici un an que j'ai envoyé la première partie à la rédaction du Path. Depuis, j'ai appris que certains étudiants exprimaient le désir de lire la seconde partie, oubliant peut-être de voir que le premier article se suffisait déjà à lui-même et que, si on en faisait l'étude, suivie d'une pratique attentive, des résultats bienfaisants devaient se faire sentir. Il n'a pas été nécessaire jusqu'ici d'écrire la deuxième partie. Et aux divers étudiants, qui, si peu de temps après avoir lu la première, ont réclamé la seconde, je dirai simplement : vous avez été induits en erreur parce qu'une suite avait été annoncée et vous n'avez pas pu vraiment étudier la première. De surcroît je doute fort que vous tiriez plus de bénéfice de celle-ci que de l'autre.

Le succès dans la culture de la concentration n'est pas pour celui qui ne fait que des tentatives sporadiques. Il s'agit de quelque chose qui résulte d'une « ferme position prise en rapport avec le but à atteindre et maintenue sans relâche ». Les gens du XIXe siècle qui s'adonnent à cette étude sont trop enclins à penser que le succès en occultisme peut être atteint comme le succès scolaire ou universitaire, en lisant et en apprenant des mots imprimés. Une connaissance complète de tout ce qui fut jamais écrit sur la concentration ne peut conférer aucun pouvoir dans la pratique de ce dont je traite ici.

Dans cette école, on se moque du simple savoir livresque autant que le fait le rustre. Non que je pense que l'on doive éviter la connaissance livresque, mais cette sorte d'acquisition, sans la concentration, est aussi inutile que la foi sans les œuvres. En certains endroits, on lui donne, je crois, le nom de « simple connaissance de l'œil ». C'est bien ce qu'elle est, et c'est précisément cette sorte de culture qui est la plus prisée en ces temps dégénérés.

Au début de ces articles, la véritable pratique a été appelée Râja Yoga. Ce dernier laisse de côté toutes les émotions physiques, les postures du corps et toutes les recettes qui n'ont de rapport qu'avec la personnalité actuelle et il prescrit la vertu et l'altruisme comme base de départ. Mais on rejette cette idée plus souvent qu'on ne l'accepte. Tant de choses ont été dites depuis les 1800 dernières années sur les Rosicruciens. Les Adeptes égyptiens, les Maîtres secrets, la Cabale et les livres magiques merveilleux, que ceux qui étudient ces sujets sans guide, mais néanmoins avec un vif intérêt, perdent en vain leurs énergies à chercher des renseignements et à trouver l'entrée du temple de la connaissance à laquelle ils aspirent avec force, parce qu'ils posent en principe que les règles de vertu sont bonnes pour les petits enfants et pour le catéchisme, mais ne sont pas faites pour eux.

Et, par suite, nous trouvons des centaines d'ouvrages dans toutes les langues européennes qui traitent de rites, de cérémonies, d'invocations et autres obscurités qui ne mènent nulle part, si ce n'est à une perte de temps et d'argent. De tous ces auteurs, rares sont ceux qui ont possédé autre chose qu'une « simple connaissance de l'œil ». Il est vrai qu'ils ont parfois une certaine réputation, mais c'est seulement celle qu'accordent à un ignare ceux qui sont encore plus ignorants. Ce soi-disant grand personnage, sachant fort bien que son renom serait compromis sans retour s'il devait révéler combien est mince en vérité sa connaissance pratique, fait tout un charabia sur les « projections, et les élémentaux », sur « la pierre philosophale et l'élixir », mais cache discrètement à ses lecteurs la pauvreté de ses acquisitions et l'insécurité de son propre état mental. Que le chercheur sache, une bonne fois pour toutes, que les vertus ne peuvent être négligées, ni ignorées; il faut en faire une partie intégrante de notre vie et en comprendre les bases métaphysiques.

On peut alors se demander si l'on ne réussit dans la culture de la concentration que par la pratique de la vertu seule. La réponse est NON, pas dans cette vie, mais peut-être un jour dans une vie ultérieure. La vie de vertu accumule beaucoup de mérites: un beau jour ces mérites causeront la naissance de l'intéressé dans une famille sage où la pratique réelle de la concentration pourra peut-être commencer. Ou bien, ils peuvent causer la naissance dans une famille d'êtres pleins de dévotion ou très avancés sur le Sentier, comme le dit la Bhagavad Gîtâ. Mais une telle naissance, dit Krishna, est difficile à obtenir. Donc, les vertus seules ne conduisent pas toujours rapidement à notre but.

Il faut préparer notre mental à une vie de travail constant suivant cette directive. Les paresseux et ceux qui préfèrent le plaisir feraient aussi bien d'abandonner dès le seuil et de se contenter des sentiers agréables tracés pour ceux qui « craignent Dieu et honorent le Roi ». Il faudra traverser des champs immenses d'investigations et d'expériences, faire face à des dangers inimaginables et à des forces inconnues, et finalement tout surmonter car dans cette bataille, il n'y a ni grâce ni merci. Il faudra découvrir de grandes réserves de connaissance et s'en saisir. Le royaume des cieux ne peut être obtenu par ceux qui le réclament : il doit être pris par la violence.

C'est seulement par l'acquisition des vertus, d'une part, et par la compréhension précise de ce que nous sommes, de l'autre, que nous pourrons obtenir la volonté et développer le pouvoir de saisir et de conserver. Un jour viendra où nous commencerons à comprendre pourquoi la moindre pensée fugitive ne doit pas rester ignorée, ni la moindre impression furtive demeurer inaperçue. Cela, comme nous pouvons le voir, n'est pas une tâche facile. Il s'agit d'un travail gigantesque. Avez-vous jamais réfléchi au fait que la simple vision fugitive d'une image ou qu'un seul mot prononcé et instantanément perdu dans le tourbillon du monde, peut constituer la base d'un rêve qui empoisonnera la nuit et réagira sur le cerveau le lendemain? Chaque impression, chaque détail doit être examiné. Si l'un de ces détails vous échappe eh bien ! Le lendemain en vous éveillant vous devrez revenir à l'aide de la mémoire sur chaque mot et chaque circonstance de la veille, et chercher, comme un astronome explore l'espace, l'impression perdue. Et, de même, sans une raison spéciale de ce genre, vous devrez vous entraîner à revenir en arrière, au fil des jours, de façon à examiner attentivement et dans le détail tout ce qui s'est produit, tout ce que vous avez laissé passer par le canal du cerveau. Est-ce là chose facile ?

Mais revenons un instant aux prétendus adeptes, aux Maîtres renommés, qu'ils aient été bien ou mal intentionnés. Prenez l'exemple d'Éliphas Lévi qui écrivit de si bonnes choses et dont les œuvres contiennent tant et tant d'allusions mystérieuses. De sa propre bouche, il se dénonce lui-même. Avec beaucoup de relief, il nous raconte l'évocation de l'ombre d'Apollonius. Des semaines à l'avance, il fallut faire toutes sortes de préparatifs et la fameuse nuit, il se livra à d'absurdes pratiques de nécromancie. Quel fut le résultat ? Eh bien ! la prétendue ombre n'apparut que quelques instants et Lévi dit que la tentative ne fut jamais renouvelée. N'importe quel bon médium de nos jours pourrait évoquer l'ombre d'Apollonius, sans préparatif et, si Lévi avait été un Adepte, il aurait pu voir le mort tout aussi facilement que l'on peut retrouver sa photo dans un album. De ces tentatives sporadiques et préparatifs extérieurs on ne tire aucun bénéfice réel, mais des effets nuisibles retombent sur ceux qui s'y adonnent. Et cette folle manie de touche-à-tout qu'ont les théosophes américains qui veulent se lancer dans les pratiques des Yogis de l'Inde (dont ils ne comprennent pas le dixième, et qui, en elles-mêmes sont des pratiques inadéquates), les conduira à des résultats bien pires que la tentative apocryphe décrite par Éliphas Lévi.

Puisque c'est au mental occidental que nous avons affaire ― notre mental actuel ― complètement étranger à ces choses et surchargé par un faux entraînement et par une logique encore plus fausse, nous devons bien commencer par le commencement en examinant nos possessions actuelles et en faisant le bilan des pouvoirs de toute la machinerie mentale qui sont les nôtres actuellement. Cela fait, nous pourrons alors nous considérer de la manière qui donnera le meilleur résultat.